Pascal Lamy : "C'est quand l'extrême droite accède au pouvoir qu’elle recule"
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Nous recevons cette semaine Pascal Lamy, ancien Commissaire européen pour le commerce et directeur général de l’Organisation mondiale du commerce de 2005 à 2013. Aujourd’hui président émérite de l’Institut Jacques Delors, Pascal Lamy commente depuis le siège de la Commission européenne ces élections pleines de surprise, et marquées en France par la dissolution inattendue de l’Assemblée Nationale.
Les résultats de ces élections "hybrides" car capitales sur le plan européen mais aussi au niveau national marquent selon Pascal Lamy "une légère poussée à droite au Parlement européen mais qui reste contenue" et moins forte que ce que prévoyaient les sondages. Reste à savoir si cette droite portée par Ursula von der Leyen parviendra à maintenir une majorité, nécessaire pour faire voter les textes que la Commission proposera. Selon Pascal Lamy, le Parti Populaire Européen d’Ursula von der Leyen est fort de sa "coalition de partis pro-européens centristes, avec les sociaux-démocrates" : "il est probable que madame von der Leyen aura la majorité suffisante pour être élue".
La difficile mise en œuvre du Pacte Vert
Mais pas sûr que cette potentielle majorité d’Ursula von der Leyen lui permette de faire voter tous les textes, quand certains fustigent le Pacte Vert par exemple, difficilement défendu par des Verts au plus bas. Mais selon l’ancien commissaire, "il y a une grande majorité d'Européens qui sont en faveur du Pacte vert. Et le fait que les Verts aient fait un mauvais score ne veut pas dire que les Européens ne pensent pas à la crise environnementale, écologique, aux émissions de carbone et à la biodiversité". Quid des manifestations massives d’agriculteurs européens contre ce Pacte Vert ? Selon Pascal Lamy, "les agriculteurs ne sont pas contents parce qu'ils ne gagnent pas leur vie correctement en faisant leur métier. Et ça, ce n'est pas à cause de l'environnement". Mais l’essentiel de ce Pacte Vert ne réside plus, selon Pascal Lamy, dans son vote, qui "a été acquis pendant les cinq dernières années", mais c’est sa "mise en œuvre" qui pourrait bien se voir "ralentie en raison de ce qui s'est passé dans les élections nationales et notamment en France".
Il est fini le temps de la social-démocratie
"On va avoir une commission dont la composition sera plus influencée par les forces de droite qu'avant", prédit-il. À peine trois ou quatre commissaires sur 27 pourraient être de la famille sociale-démocrate. "Il est fini le temps où la Commission avait plus de sociaux-démocrates que de chrétiens démocrates ou de centre droit". Il souligne d’ailleurs l’importante porosité entre "ce qui se passe dans les États membres" et la composition de la Commission européenne : "les élections nationales ont des conséquences européennes" et vice versa.
Mais même si les partis d’extrême droite et les groupes de droite radicale chez les non-inscrits totalisent 25 % des sièges du Parlement, cela ne constitue pas une "minorité de blocage" pour Pascal Lamy. La raison est simple : "ils ne sont pas d’accord sur l'Ukraine, ils ne sont pas d'accord sur l’Otan, ils ne sont pas d'accord sur l'environnement, ils ne sont d'accord sur rien". Impossible pour l’extrême droite de se mettre d’accord selon Pascal Lamy, comme d’ailleurs à l’extrême gauche. Mais c’est sans compter sur les "tentations à la droite du Parti populaire européen". On a déjà vu des alliances de circonstance entre le PPE et l’extrême droite, notamment lors de certains votes sur le Pacte Vert, "parce que les agriculteurs votent beaucoup plus à droite qu'à gauche et parfois à l'extrême droite".
"C'est quand l'extrême droite est au pouvoir qu'alors elle recule"
Si l’extrême droite est au plus haut en France, elle recule déjà dans les pays nordiques ; et même en Hongrie, le parti de Viktor Orban n’a pas obtenu le résultat escompté. Selon Pascal Lamy, l’explication est simple : "là où ils sont au pouvoir, ils baissent". Le populisme atteint donc ses "limites" dès son arrivée au pouvoir : "parce que quand on est élu, on devient responsable. On est obligé de se confronter à la différence entre ce qu'on a dit et ce qu'on a fait, à des difficultés dans lesquelles il faut arbitrer et qui sont celles de l'exercice du pouvoir politique".
Ce n’est toutefois pas ce qui est observé dans l’Italie de Giorgia Meloni, "mais elle est arrivée de manière relativement récente et [...] elle a très habilement réussi à séparer ses positions européennes et mondiales sur la guerre en Ukraine, sur l'Otan, sur l'Europe", estime Pascal Lamy. La Première ministre italienne a donc opéré à un revirement de sa stratégie, et "après avoir tenu des positions du type extrême droite, pro-russe, anti-américaine, anti-Europe, elle a complètement changé de pied" et a choisi de séparer "ce qui se passe au niveau européen et au niveau mondial", car l’Italie a besoin du soutien et de l’argent de l’Europe. Ce qui ne l’empêche pas de "prendre la main sur un certain nombre d'institutions, notamment culturelles, et sur la télévision publique !".
Quant à la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée Nationale, elle a "surpris les Européens et les Français", explique Pascal Lamy. Il suppose le raisonnement suivant : "un gouvernement dominé par le Rassemblement national pendant trois ans, serait moins propice à une élection du Front national en 2027 à l'Élysée". En revanche, un échec du RN à la bataille des législatives supposerait "une très forte mobilisation des partis qui ne sont pas au RN" dont il doute.
Les élections européennes marquent aussi une redistribution des "top jobs", les hautes fonctions de l’Union européenne. Compte tenu du "gain parlementaire du PPE", la reconduction de Roberta Metsola à la tête du Parlement européen et celle d’Ursula von der Leyen à la Commission européenne semble "vraisemblable" pour Pascal Lamy. Un social-démocrate pourrait bien se voir attribuer la présidence du Conseil européen : Pascal Lamy avance le nom d’Antonio Costa, l'ancien Premier ministre portugais, ou encore celui de Kaja Kallas, Première ministre estonienne centriste, comme cheffe de la diplomatie. "Il est assez normal que l'Europe centrale et orientale soit représentée, comme d'ailleurs elle l'a été avec le président polonais Donald Tusk qui maintenant est Premier ministre en Pologne", conclut-il.